Reflets. Le secret du Tupa 10

Publié le par Catherine Picque

 

Les yeux rivés sur son reflet, Maeva réalisait toutes les contradictions de sa démarche. Pourquoi avait-elle acheté une crème anti-rides à la pharmacie ce matin ? Elle qui avait toujours dit que le visage parcheminé des gens âgés était la preuve qu'ils étaient des chanceux, des privilégiés qui avaient pu profiter de la vie sans qu'un accident ou une maladie vienne écourter cette expérience unique, ce tour de manège où il n'y a pas de pompon qui donne un deuxième tour gratuit. Depuis la mort de son père, elle avait maintes fois été émue par des visages burinés d'inconnus croisés dans la rue ou les magasins. Son père ne serait jamais un grand-père, il ne porterait jamais les stries que le temps creuse sur les visages. Ses cheveux n'étaient même pas poivre et sel, alors qu'il avait déjà passé une cinquantaine d'années à affronter les tourments de la vie et à profiter de ses bonheurs.

Pourquoi aujourd'hui avait-elle enfreint une de ses nombreuses lois intérieures, « pas de crème anti-rides » ? Cela avait-il un rapport avec ces albums photos qu'elle avait feuilletés l'autre jour quand elle cherchait une photo de Claire bébé. Elle voulait faire un montage photo à l'occasion du premier anniversaire de Jade la fille de sa cousine qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. En feuilletant ces vieux albums, elle avait alors revu de nombreuses photos de sa mère, disparue juste avant ses 30 ans. L'âge qu'elle aurait elle-même dans quelques semaines… si elle était sur le point de s'enduire le visage d'une crème, qui pour elle n'avait représenté jusque là que vanité et futilité, c'est qu'elle ne voulait pas perdre l'image vivante de sa mère, celle qu'elle pouvait contempler aussi souvent qu'elle le voulait au cours d'une journée, dans les reflets du lagon, dans le rétroviseur de son vélo, sur l'écran de son ordinateur…

Elle avait réalisé qu'un jour, elle serait une vieille dame, et que sa mère resterait éternellement cette jeune femme souriante des albums photos. Elle mesurait l'ampleur dérisoire de cette tentative pour arrêter les outrages du temps, mais elle ne pouvait s'empêcher d'essayer. Déjà une fois, elle avait été impuissante à retenir sa mère parmi les vivants, la maladie l'avait prise à ceux qui l'aimaient. Elle se sentait autorisée à utiliser ce petit subterfuge pour garder un peu plus longtemps, auprès d'elle ces reflets de sa maman en vie.

Publié dans Roman policier

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